Les questions liées à l’interprétation en relation à l’adresse public sont présentes depuis très longtemps dans mon parcours. Comment faire émerger un geste ouvert dans sa pleine puissance dramaturgie, tout en étant écrit et inscrit dans une partition précise ? Une de mes plus grandes référence d’interprète est Oum Kalthoum. Cette compositrice et interprète savait, selon moi, distiller une très grande capacité d’écoute comme prémices d’accueil à la relation avec les spectateur·ices. De cette relation vivante, sensible et ouverte, elle savait en faire co-émerger des moments de grâces.
Lors de ma rencontre avec Florence Augendre et la pratique, j’ai été ébahie par la capacité créatrice convoquée. J’ai pu sentir et ressentir une autre manière de bouger fondée sur la sensibilité et sensitivité de nom anatomie et physiologie. Cette rencontre m’a permis un nouveau départ dans mon rapport au corps ainsi qu’un accès à des outils pour commencer à dessiner une démarche.
À ce jour c’est une pratique que je partage, enseigne et où je défends un espace où il n’y a rien à produire. Je tente de faire exister un lieu de décantation et d’intégration du corps physiologique qui permet l’émergence d’oscillations entre le conscient et l’inconscient. C’est de cet accordage tissulaire, physiologique et sensible que naît l’expressivité des corps et du mouvement, pouvant aller jusqu’à l’endroit de la représentation.
« Les fascias sont au corps physiologique ce que le subconscient est à la psyché » Florence Augendre.
Aujourd’hui, j’ai le désir d’investir spécifiquement ce que cette pratique permet à l’adresse du geste performatif et chorégraphique de part la conscience physiologique et tissulaire qu’elle construit et de l’écoute environnementale qu’elle permet. J’imagine cette recherche en dialogue avec différentes personnes ressources, où pratique et théorie tissent ensemble.
Pour le début de cette recherche, je souhaite dégager un aspect philosophique et politique avec comme point de départ les notions de queer time, de phénoménologie et d’ethnoscénologie. « Cela veut dire que l’environnement n’est pas quelque chose que l’on partage avec les autres, mais quelque chose de que l’on co-constitue » Alain Berthoz et Jean-Luc Petit, Phénoménologie et physiologie de l’action.
Je souhaite également réfléchir scientifiquement et physiologiquement les notions de corps tissulaire, de respiration cellulaire, d’embryologie et de neurones miroirs. « Tous nos mouvements intrinsèques viennent de notre développement embryonnaire » Bonnie BainBridge Cohen. « Les neurones miroirs peuvent être considérés comme faisant parti des preuves neurophysiologiques d’un mécanisme partagé entre l’action et la perception » Gabriele Sofia.
Cette recherche vient nourrir en simultané mes endroits d’adresse et de représentation chorégraphiques, au travers des solos Lilith et Art.13 que j’interprète, ainsi que la création à venir Organicitées dans laquelle je mets en scène trois artistes chorégraphiques.
Tout ce processus de recherche est sous-tendu par des questions attenantes aux écritures chorégraphiques. J’ai l’intuition que le « renforcement » des pratiques somatiques, de manière globale, dans le champ chorégraphique est le terreau de nouvelles écritures à venir.
J’ai le désir d’investiguer et d’investir les chemins de traverses possibles entre la pratique de la fasciapulsologie© et les langages artistiques qui en émergent. A travers ces processus, mes directions chorégraphiques et politiques sont de questionner ce que Gisèle Vienne appelle « les encodages perceptifs » qui sculptent nos rapports au monde. Je souhaite questionner les rapports au monde à partir des rapports au corps.
« Tout le monde a un rapport physique au monde et ce rapport physique est constituant de notre perception, donc la question est comment se fait-il que certains penseurs ou certaines personnes feraient comme si elles ne pensaient pas à partir de leur corps » Gisèle Vienne